laurence lemaire
la Plume
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Pékin - Jehanne, hutongs et traditions

Le réseau de petites ruelles ou hutongs a été bâti il y a 700 ans ; il circule entre les maisons traditionnelles, les siheyuans ( si: quatre, he : ensemble, yuan : cour) où logeaient jadis, trois générations d'une même famille et leurs domestiques, autour d'une cour carrée et son tianjin, le puits du ciel. La majorité, insalubre, a été détruite ses deux dernières années.
« J'ai su que l'Asie allait me passionner pendant toute une vie, raconte Jehanne de Biolley. J'ai su que je ne me lasserai jamais. Grâce au "guangxi" : le réseau, je vis dans un hutong et j'ai épousé un Chinois.
»

A 19 ans, une fois ses études de restauration de tableaux achevées, Jehanne de Biolley fait son premier voyage en Asie avec un groupe d'amis et une femme qui l'initie à la culture, la religion et l'art balinais ; puis, en Thaïlande, elle vend une collection d'arts khmers Jehanne créé sa propre galerie d'art oriental à Londres : en 1991, elle fait le tour des musées et des antiquitaires en Corée, au Japon, à Taiwan, à Hong Kong, puis à Pékin où elle passe un mois et demi. « En entrant à l'hôtel, j'ai su que j'étais sur une route. J'ai adoré ce lieu. En 1991, les rues n'étaient pas éclairées le soir, il y avait très peu de restaurants, pratiquement pas de magasins, c'était rude. Les Chinois ne pouvaient pas comprendre que je n'appartienne pas à une unité ouvrière, que je ne sois à personne, contrôlée par personne. Tout était plus austère, plus caché... Les gens, l'atmosphère, la ville... Je me souviens avoir attendu 15 minutes pour prendre une photo d'une voiture sur la place Tiananmen, afin d'en décrire ses proportions ; maintenant je devrais attendre le nouvel an chinois à huit heures du matin pour la photographier cinq secondes sans voiture, lorsque tous se reposent de la fête qu'ils ont fait la veille !! A l'époque, les Chinois ne pouvaient pas entrer dans les hôtels ni même dans le magasin de l'amitié, qui proposait alors des produits importés pour les étrangers - aujourd'hui, il n'a plus cette raison d'être. Je ne parlais pas un mot de chinois, j'étais isolée dans une ville mystérieuse, impressionnante, où il y a tant à découvrir visuellement... esthétiquement.
hutong de Pékin Le petit hôtel où j'habitais était dans un hutong de la Ville Tartare - ceux qui sont proches de la Cité interdite étaient réservés aux officiels, aux administrateurs, aux dirigeants. Ce hutong avait été habité par les officiels sous la dynastie mandchoue.
» Dans Epouses et concubines, le film de Zhang Yimou, on découvre les maisons des hutongs alors prisons dorées dans lesquelles étaient maintenues enfermées les épouses achetées par de riches Maîtres.

En 1997, Jehanne quitte Londres et décide de retourner hiberner pendant trois mois à Pékin, pour lire au chaud par un hiver très froid. Ne parlant pas la langue, elle ne serait pas dérangée. « A aucun moment l'idée ne m'est venue d'aller dans les Caraïbes ! J'ai beaucoup lu, je patinais sur le lac tous les matins, j'ai pris des cours de chinois mais c'était une torture, alors j'ai appris seule, sans me stresser, un chinois simple, celui du quotidien. En 1998, mon amie Sandrine m'a présenté celui qui deviendra mon compagnon beaucoup plus tard. Cette année-là - l'année du tigre, mon année de défis puisque je suis tigre, a été déterminante. Le magazine "Elle déco" a craqué pour mon petit sac créé à Londres, mes compositions d'accessoires, mes papillons... Ce jour-là, j'ai mis mes patins et je me suis lancée ! J'ai créé, entre autre, un collier qui est encore un de mes grands classiques, avec des perles d'agates noires et un médaillon de laque noire et rouge en dessous duquel il y a un petit bouton chinois en bronze doré... Je faisais tout moi-même... Dans l'autobus j'enfilais, dans le taxi j'enfilais, dans l'avion j'enfilais... Ce que j'avais fait la nuit, était vendu le matin et je recommençais ! Le succès me faisait faire le yo-yo entre Paris, Londres et Pékin. Et puis j'ai compris que si je faisais faire mes colliers à Pékin par des gens que je ne contrôlais pas, ils seraient copiés tout de suite ; j'ai donc quitté l'hôtel et j'ai monté un atelier. Ma collection de bijoux a été présentée à New York, Londres, Paris, à Bruxelles et en Suisse. »
Son succès est établi mais Jehanne se pose une série de questions : elle n'est pas chinoise, elle devrait rentrer en Europe, elle pourrait faire ses créations n'importe où, ce serait même plus simple au Portugal ou en Espagne. De plus, à cette époque, les étrangers n'ont pas le droit de vivre ailleurs que dans les immeubles prévus pour eux, à des loyers qui dépassent ses moyens. « Mais la Chine de maintenant... ça a l'air curieux de dire " la Chine de maintenant est d'alors ", elle a changé, elle s'est tellement libérée ses dernières années ! Elle m'a stimulée. J'ai donc décidé d'améliorer mon habitat. En 2000, j'ai trouvé cette maison au fond d'un hutong grâce à un ami d'amis d'amissss, passionné par les lieux anciens. Jamais, vraiment jamais dans mes rêves les plus fous, je n'avais imaginé trouver un endroit comme celui-ci : une maison traditionnelle chinoise autour d'une petite cour. La mienne est un jardin. C'est devenu unique à Pékin.»
La maison de Jehanne (près des tours du Tambour et de la Cloche qui sonnait les veilles) est un des bâtiments d'un ancien temple de l'époque des Ming, tous transformés en école dans les années 1920. Quand les Japonais ont envahi la Chine, les temples ont beaucoup souffert et pendant la Révolution culturelle le bâtiment principal a été abattu ; l'ensemble a été transformé en usine de papiers et imprimerie. Le moine-chef et ses deux épouses vivaient dans le temple que Jehanne loue ; aujourd'hui, les bâtiments appartiennent aux Musées nationaux, ce quartier est protégé par l'Héritage culturel national.
« De plus, reprend-elle, là où en Europe la rénovation met un an, un mois et demi de travaux intenses ont suffi aux 45 ouvriers qui travaillaient de 8h du matin à 10h du soir avec des livraisons de matériaux la nuit ! » La ville lui a imposé la laque rouge et le gris pour l'extérieur et insisté pour que Jehanne utilise des matériaux de qualité. Le sol de la pièce principale est en béton coulé, une rayure donnant l'impression de très grandes dalles ; verni avant la saison des pluies, il a craqué après cette saison, provoquant un effet marbré, beau et original. Les schistes verts de la salle de bain sont vernis pour donner un effet mouillé. Les ouvriers voulaient changer les vieilles dalles de la cour : Jehanne a bien fait de refuser car elles ne retiennent pas la chaleur contrairement aux dalles modernes, bouillantes au moindre rayon du soleil. « Nous avons tout refait ! Sauf le toit : il n'y avait pas d'eau, pas d'électricité, ni toilettes, ni cuisine. Il y a plus de 4m de hauteur sous plafond et heureusement je bénéficie du chauffage central de l'imprimerie. Parce que ma maison et moi-même, faisons partie d'une unité ouvrière !
A l'époque du Sras, mon petit garçon avait 8 mois et je ne voulais pas qu'il prenne l'avion : je suis restée cloîtrée chez moi pendant 3 mois. Tous les jours, deux hommes venaient asperger de désinfectant les sols de l'imprimerie et les miens ; c'était étonnant. Mes ouvrières nous achetaient le déjeuner, elles portaient des gants et des masques dans les transports en commun et se désinfectaient en arrivant ; on laissait les colis qui venaient de l'extérieur griller au soleil puis on les purifiait... Nous ne sortions jamais ; mon bonhomme continuait de mener une vie active mais pleine de précautions, et achetait le dîner ; j'ai même fait un petit potager ; c'est la chance d'avoir une cour et faire partie de cette unité ouvrière était très rassurant. Si j'avais vécu en appartement je pense que j'aurais fui, comme les autres étrangers.
»

hutong à Pékin par Charles ChauderlotEn 1264, Kubilay a construit une cité nouvelle sur les décombres laissés par les troupes de son grand-père Gengis Khan en 1215, mais aussi sur les champs entourant la vieille ville : les petits canaux qui menaient d'un point d'eau - hottog, à un autre, organisés en damier dans les champs, sont devenus de véritables ruelles. Paradoxalement, le feu est la hantise des hutongs : dans les cours des siheyuans, il n'y a malheureusement pas les grands chaudrons de la Cité interdite, réserves d'eau en cas d'incendie, chauffée par les eunuques pour éviter qu'elle ne gèle ! Ces maisons sont entourées d'une enceinte de murs : celui du nord protège du vent glacial de Sibérie et selon le feng shui, il est préférable d'avoir sa porte d'entrée au sud-est pour la chaleur et le lever du soleil.
Dans Quatre générations sous un même toit de Lao She, le héros est le hutong du Petit-Bercail, avec ses grillons et ses pigeons : " Avec sa maison à lui, ses fils et petit-fils autour de lui, les fleurs et les plantes cultivées par ses soins, le vieux Qi estimait que, s'il avait peiné toute sa vie, ça n'avait pas été pour rien et que si la ville de Peiping était une ville impérissable, il en était de même pour sa maison. ".
On comptait quelque 4 550 ruelles dont 360 grandes et des petites, "nombreuses comme les poils d'un boeuf." Elles disparaissent progressivement : sur la plupart d'entre elles, est peint l'idéogrammes chai qui veut dire à détruire. Si les démolitions partielles ont commencé vers 1989, elles sont massives depuis 2001, accélérées par l'entrée de la Chine dans l'OMC et les JO de 2008. Les cours souffrent d'une surpopulation héritée à partir de 1949 car leurs propriétaires furent dépossédés par l'Etat et leurs maisons mises à la disposition de plusieurs familles et soldats. Aujourd'hui, pour élargir les routes, des quartiers entiers sont détruits. Quelques siheyuans sont reconstruites en béton et modernisées pour être proposées aux classes aisées mais les Chinois riches préfèrent les résidences, un environnement sécurisé avec gardien, car les enlèvements de ses dernières années - phénomène récent, ne privilégient pas l'isolement. Entre le mot d'ordre de destruction moderniste et la préservation des signes de l'antique puissance, l'empire du Milieu devient l'empire des contrastes. " Dans la civilisation chinoise, le culte de la mémoire prend souvent des formes qui n'accordent pas aux constructions prestigieuses des temps révolus, la même déférence que celle qui a conduit l'Europe moderne à inventer la notion de patrimoine ". écrit Zhang Liang dans Naissance du concept de patrimoine en Chine. Des rapports conflictuels opposent les défenseurs du patrimoine architectural, à ceux qui préfèrent sacrifier les traces du passé pour mener la Chine vers le futur.
L'histoire du Paris rappelle celle du Pékin : entre les deux guerres, Paris était la ville de la pénombre, du manque d'hygiène, de la pourriture. L'architecte Le Corbusier a prôné une chirurgie radicale entre la Seine et Montmartre : raser son centre devenu insalubre, construire de hautes tours pour une très forte densité de population, vider les quartiers pour n'y laisser que quelques monuments entourés d'espaces verts... Son projet provoqua des révoltes qui aboutirent le 4 août 1962 à la mise en place de la loi Malraux, alors ministre de la Culture (conservation du patrimoine architectural et historique en facilitant la restauration immobilière). A Pékin, il y a un grave problème de salubrité ; si en Europe, les canalisations et les égouts datent des XVIII et XIXème siècles, ces derniers n'existent pas à Pékin : des camions aspirent les fosses septiques. Si le Chinois est très propre, sa ville est sale, polluée et le vent apporte le sable du désert de Gobi. Il est indispensable de restaurer ce Pékin traditionnel. L'écrivain réalisateur Dai Sijie racontait en avril 2000 : ‘Je croisais un homme qui, un pot de chambre à la main, se dirigeait vers les latrines communes, une petite merveille de construction tapissée de carreaux blancs. Je le saluai. Il fut si surpris que le pot de chambre émaillé étincelant, en forme de crachoir, faillit s'échapper de sa main somnolente, en faisant entendre un clapotis confus. Propos écrit dans Chine de Yann Layma. (éd. de La Martinière)

hutong à PékinDans ces maisons de briques, il n'y a pas d'eau chaude à moins de mettre un réchaud polluant et facteur d'incendies. Il n'y a pas de toilettes : il faut courir dans la rue en hiver par moins 15 degrés pour faire ses besoins ! Deux ouvrières de Jehanne de Biolley habitaient dans des hutongs ; elles se chauffaient au charbon et se lavaient à la douche publique du danwei (unité de travail). En 1990, leur hutong et ses maisons ont été détruits ; elles ont été relogées dans des buildings et un appartement un peu plus grand. L'une d'elles a juste un petit regret pour les quatre grands dattiers de la cour de ses grands-parents... Mais elles ont l'eau courante et le chauffage. Surtout, elles peuvent aller aux toilettes chez elles ! Leur vie a complètement changé. Dans ces années là, les Chinois n'avaient pas d'argent, ils étaient tous logés à la même enseigne sans se poser de questions. « Ils ne voient pas les choses comme nous : ils ne sont pas romantiques, dit Jehanne. Ils ne se retournent pas sur la démolition des hutongs ; ils ont connu tellement de changements qu'ils s'adaptent, ils vont de l'avant, ils sont contents ! » Ce n'est qu'en 1997 que le Gouvernement a établi un prix au m2, aligné sur le marché et la notoriété du quartier. Sont alors proposés aux expropriés de nouveaux logements, à l'achat ou à la location, dans des quartiers excentrés ou sur place, dans les futurs tours. Mais ils ont le droit de choisir et la possibilité de devenir propriétaire avec son argent gagné est une grande première ! Une autre ouvrière habite toujours dans un hutong, il va bientôt être démoli ; elle attend les compensations financières et son nouvel appartement. Les frais de déménagement et de relogement sont supposés être pris en charge mais ce n'est pas toujours le cas ; malgré cela, elle sait que cela va être confortable et propre. Une location dans un building gouvernemental n'est pas très chère (160 yuans par mois contre 2000 dans Toilettes publiques des hutong de Pékin un building non-gouvernemental). Parfois, un quartier entier est relogé dans le même bâtiment : il tente alors de recréer la vie de jadis, l'ambiance de son hutong. Le lieu de rendez-vous et de papotages n'est plus les toilettes publiques mais un espace convivial dans la salle de sport près des agrès. Ils tapent le carton dehors en été. D'autres se retrouvent dans des tours aux portes de la ville, à 25 km de leur travail ; toute cette grande masse de population ne peut suivre la course à la modernité. « Malgré cela, avec ce qu'elles gagnent aujourd'hui et les avantages gouvernementaux, mes ouvrières vivent mieux que les gens en Europe ; en tous cas, jamais elles ne se plaignent et se réjouissent des améliorations du système. Peu importe qu'il soit locataire ou propriétaire, aucun Pékinois n'est à la rue. Ils ont un dédommagement plus important que celui alloué aux provinciaux qui ont pu s'établir depuis que la circulation d'une province à l'autre est libre. Aujourd'hui, les Chinois peuvent vivre où ils veulent en Chine. Et depuis 2002, les étrangers ont le droit de louer un appartement dans n'importe quel quartier. Ils peuvent même être hébergés chez l'habitant à condition que celui-ci fasse une déclaration auprès des services de sécurité publique. Le panneau ‘'hôtels ouverts aux étrangers'' n'existe plus. »
C'est bien agréable de se promener à pied ou à vélo dans les hutongs ; tous sont dehors au moindre rayon de soleil, les habitants vivotent de petits métiers liés à la vie du quartier, on se perd dans les entrelacs et on tombe sur un marché du soir, on se pose pour boire un thé. J'adore mais je ne voudrai pas vivre dans ces maisons telles qu'elles sont. Sauf chez Jehanne qui a eu les moyens d'aménager la sienne. En 1999, 30 quartiers ont été désignés pour être préservés ; en 2002, plus de 400 siheyuans ont été classées comme trésors historiques dans un plan de protection des sites culturels et historiques de Pékin. Ca n'a pas empêché la destruction de Nanchizi (quartier à l'est de la Cité) en quelques nuits de l'été 2004.

jehanne et ses ouvrières de Pékin La notion de réseau
Les ouvrières de Jehanne enfilent et enfilent encore les perles; elles envoient des paquets, des mails, répondent au téléphone. Jehanne crée un nouveau collier...« La clé en Chine, c'est de ne jamais engager des gens sans recommandation, c'est à dire la personne à qui on devra rendre des comptes, qui ne doit pas perdre la face ; s'il n'est pas recommandé, le Chinois n'a rien à perdre à être malhonnête. Mes ouvrières sont introduites et si ça se passe mal, je peux remonter le réseau. Comme en Chine on ne fait rien sans rien, si je recommande quelqu'un de mauvais, la personne va se dire que je lui voulais du mal et va se demander "quelle était la combine ?" Donc, le réseau est très important. Nous devons être sûrs des gens que nous recommandons ! Alors qu'en France, si tu présentes quelqu'un qui s'avère être nul, il y aura un froid pendant un moment mais ton amitié ne changera pas pour autant. J'ai rencontré mes deux dernières ouvrières par le jardinier que j'ai rencontré par les voisins... Ils sont tous responsables ! C'est ton réseau qui te donne potentiellement ton futur ; tu fais appel au réseau lorsque tu as un problème ou besoin de quelque chose. Le réseau est primordial. La Ayi (tante, domestique) de mon fils vient du village de la petite amie d'un responsable d'une agence de placement : il sait où elle habite et donc, il peut lui faire confiance. En Chine, tu ne donnes ton adresse qu'à une personne de confiance, sinon n'importe qui peut venir te menacer chez toi en cas de problèmes. La maison est un secret, c'est ton monde, ta pudeur, ton intimité ; c'est pour cela que les fenêtres donnent sur la cour et non sur l'extérieur. » " Le silence est un ami qui ne trahit jamais " disait Confucius.

Jehanne m'invite à déjeuner, dans la cour ensoleillée de sa siheyuan. J'assiste à la confection des raviolis : de la farine bien blanche (plus raffinée que la farine à pain) et de l'eau, la pâte est aplatie puis fourrée au boeuf ou au porc. Délicieux. Je trouve les pommes de terre fades. « Elles sont préparées différemment ; en salade elles sont croquantes. Il ne faut pas que tu essaies de comparer avec les préparations françaises : pense aux nouvelles sensations. Les Chinois sont très calés pour les légumes, ils savent comment les faire sauter pour qu'ils donnent le meilleur de leur goût et de leurs vitamines. Si certains légumes ne sont pas cuits comme il faut, ils dégageront ce qui est mauvais pour la santé. Eux savent. Les occidentaux ont perdu la connaissance des valeurs préventives des aliments. Ici on mange moins de viande mais les plats sont souvent parfumés à la viande. La cuisine du Sichuan est trop épicée pour nous, elle peut nous mettre l'estomac en feu. Dans le sud du pays c'est sucré - d'ailleurs la cuisine chinoise proposée en Occident est proche de celle de Canton : elle est faite par des Chinois qui n'avaient jamais fait la cuisine et qui ont su rajouter du sucre, du ketchup des couleurs qui nous conviennent. » Je ne joue pas et ne mets pas mes baguettes dans le nez comme certains occidentaux - apparues à l'époque des Annales (722 - 481 av JC), elles étaient fabriquées en ivoire, or, argent ou jade, aujourd'hui en bambou ou en plastique. Je goûte le tofu et les oeufs de 100 ans à la peau noire comme de la gelée : c'est excellent ! L'oeuf noircit parce qu'il est cuit dans une soupe à la sauce de soja : la couleur gris-foncé du blanc de l'oeuf peut repousser certains. J'apprends à aspirer mes nouilles pour les refroidir en faisant "slirpppp" sans gêne. Du wo suan, légume qui ressemble au concombre et qui n'existe pas en Europe, nous mangeons la tige avec de minuscules crevettes d'eau douce qui ont un goût d'ail. Eh oui, je continue à jouer les comparaisons ! Jehanne nourrit huit personnes par jour, avec de la viande, et ça ne lui coûte que 300 yuans (30 € ) par mois !

« J'ai rencontré Lu Li Nian en 1998. Nos relations ont été aussi désordonnées que ma vie l'était. Je ne comprenais rien de ce qui se passait, je ne parlais pas le chinois et ça lui pesait beaucoup ; c'était une relation pour laquelle je n'étais pas prête et probablement lui non plus ; je ne comprenais rien aux relations chinoises entre un homme et une femme, ni les obligations professionnelle et sociale. Je devais être stable pour prendre le risque de créer une famille dans cet environnement. Je voulais d'abord me sentir heureuse et épanouie. » Jehanne parle français à leurs deux jeunes enfants, chinois et anglais à Li Nian ; ancien acteur et chanteur d'opéra, il est comédien de kungfu et consultant en designer de mobiliers contemporains. Tous les deux sont marginaux car ils ne sont pas mariés mais pour leurs amis Chinois, c'est tout comme.

Les bons plans de Cui cui
Le nom chinois de Jehanne, donné par son fiancé, se dit Tsué tsué ; il fait référence au vert précieux du jade et aux plumes de martin pêcheur, soit la beauté de la couleur bleu-vert. Le jade, paré de pouvoirs magiques, est révéré en Chine depuis l'ère néolithique ; c'est sous son aspect blanc qu'il a le plus de valeur.
Porte de la Cité interdite à Pékin par Charles Chauderlot
couloir de la Cité interdite à Pékin par Charles Chauderlot Les hutongs préservés se situent essentiellement autour de la Cité interdite, dans ce qui s'appelait la Ville tartare (imaginez un carré qui irait de la porte sud de Tiananmen au 2eme périph nord) Pendant la domination mandchoue, l'ancienne ville des Mongols était réservée à la nouvelle dynastie Qing, ainsi qu'à leurs alliés : les Mongols. C'est pour cette raison qu'elle se nomma la Ville tartare. Les Chinois furent expulsés vers le sud de la Cité et créèrent la Ville chinoise (de Tiananmen jusqu'au 2eme périph sud)
Il faut se promener dans les hutongs autour des lacs Houhai et Qianhai. Evitez les hutongs tours des cyclos-pousse (sauf si vous parlez chinois), louez un vélo quelques heures et n'hésitez pas à vous enfoncer dans les ruelles perpendiculaires aux rues principales. Vainqueurs du temps, les joueurs de cartes et de dominos sont assis sous les saules pleureurs quelles que soient les intempéries ; ils cèdent leur place à la tombée de la nuit, aux vendeurs de brochettes et à la trentaine de bars installés depuis 2004. Une amie de Jehanne me raconte : " Avant le sras, il y avait peu de bars ici : le quartier de San Li Tun a été deserté car les 1ers malades du Sras y ont été hospitalisés. Le gouvernement favorisait les lieux aérés, comme les lacs : les bars ont poussé là, comme des champignons en peu de temps. "
S'il fait froid, installez-vous au châlet-bar du Nuage : ils servent du vin ! Juste en retrait, les spécialités vietnamiennes de son excellent restaurant sont servies par des Hakkas, minorité qui vit dans les provinces de Fujian et de Guandong. 22 Qianhai lake east bank, Xicheng , 64 01 16 63
Voyez 3 lavis de Charles Chauderlot : La Cité interdite et le hutong du lac Houhai.
Charles Chauderlot
« Mon premier hôtel, celui de 1991, était alors désuet, mystérieux, raconte Jehanne. Il a été racheté et re-décoré, il est devenu adorable et charmant et il n'a pas été réhabilité que pour les étrangers. Les touristes étrangers ne représentent que 1 % ! Ils ne sont pas une part de marché. Le marché c'est les touristes chinois. D'ailleurs les chauffeurs de taxi ne comprennent pas Forbidden city, alors qu'à Paris, ils comprennent Eiffel tower. » Lu song yuan hôtel est une siheyuan de 58 chambres entourant 5 cours ; les hôtes parlent anglais et c'est aussi le repère des Français. 22 Banchang hutong Kuanjie, Dongcheng, 64 04 04 36 ; au-dessus de Ping An dajie, dans les ruelles de l'est du lac Qianhai.

A cet hôtel, demandez le chemin du Candy floss cafe bar. Cette petite siheyuan est divisée en rooms décorées comme chez soi... Canapés, tableaux, cheminée, bibliothèque, musique... On y boit du thé aux fleurs, du café ou du vin... C'est divin, calme, pas touristique et le patron parle anglais.

Dans ce même pâté de hutongs, pour dîner occidental et même échapper à la Chine, allez au Pass by. J'ai dégusté un énorme steak au poivre en écoutant Brassens. Le décor en bois est raffiné, sa bibliothèque recèle de livres de voyages, tous parlent anglais et un peu le français. 108 Nanluogu xiang, 64 01 94 74

« Le magasin Dianmen Chang vend les produits de la vie de tous les jours : accessoires en fibre végétale pour la literie en été, sous-vêtement type Damart en hiver, baguettes, thé, sauce de soja, vinaigre, chaussures traditionnelles ou en tissu imperméable pour rouler à vélo » Une entrée du coté du lac Houhai et une entrée à Dianmen à l'arrêt de bus n°5.

La pointe sud du lac Qianhai est pittoresque grâce à Lotus lane. Sur cette esplanade, les vendredis et samedis soirs, les Chinois dansent en couple, s'apprennent le tango ou la valse en fous rires. C'est tendre, amoureux et je regrette notre peur du ridicule qui "interdit" ces festivités simples. Près de cette "piste de danse" improvisée, on propose des massages rapides et efficaces malgré votre doudoune indispensable passé le 15 octobre ! Lac Qianhai, Ping An dajie.
De Lotus Lane, longez le lac vers la droite, jusqu'au parking des pédalos aux têtes de canard. Le Xiao Biara Hai Yar est un très bon restaurant chinois. 84 03 80 04

La résidence de Lao She est transformée en musée et Maison de thé. (19, Feng fu hutong, près de la rue Dengshi xikou xijie, 3 Quianmen xidajie, au sud de la place Tiananmen). Après plusieurs années à Londres et aux Etats-Unis, Lao She retourna en Chine mi-octobre 1949. Il sera un des écrivains du nouveau régime avant d'être noyé... ou peut être battu à mort dans son appartement par des gardes rouges. Tous ses livres furent alors confisqués et interdits pendant 10 ans. Dans Histoire de ma vie, (extrait des Gens de Pékin), artisans et commerçants, policiers et soldats, prostitués et bandits animent les ruelles de la ville sous les derniers feux de l'empire. On retient La cité des chats (1933), son Pousse-pousse (1936), Quatre Générations sous un même toit écrit entre 1940 et 1942 ; sa pièce de théâtre La Maison de thé, publiée en 1956 sous le régime communiste, a été adaptée pour le cinéma en 82 par Xie.

« J'arpentais la rue des antiquaires en 1991 » Liulichang dajie, ou la rue des fabriques de tuiles vernissées, est au sud de la Cité interdite dans le quartier de ‘'La grande barrière'' : le Dazhalan de la Ville chinoise est l'ancien lieu de plaisir des Princes mandchous. « Elle est très jolie, elle a été réhabilitée dans les années 1980. Une bonne partie des hutongs alentour sont en train d'être démolis. C'est particulier comme contraste. »