laurence lemaire
la Plume
mes tribulations à Bangkok       retour
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Le 8 Octobre 1998 :
Je ne suis pas sure que Bangkok soit ma ville préférée ! Drôle d'idée en effet de quitter les embouteillages et la pollution parisienne pour les retrouver ici. Je n'ai pas eu un moment de calme depuis 15 jours. Le bruit des autos ne cesse pas car la ville ne s'endort pas. C'est une excitante folie pure. J'utilise les motos-taxi qui mettent 10 minutes là où une auto met une heure ! Je mets le caque-passager après avoir vérifié que des poux ne s'y sont pas installés. Puis je prie le ciel, j'essaie de ne pas avoir peur; à chaque feu qui passe au vert, les cinquante motos de première ligne s'élancent en trombe. Je m'accroche. Ma jupette est remontée á mi-cuisses. Impossible de lâcher le driver pour redescendre le tissu. Défiante, je regarde en l'air les routes et le futur métro, ses longues bandes de béton à dix mètres au dessus de ma tête qui assombrissent les rues, trottoirs, boutiques, centres commerciaux ou petites échoppes, qui coupent en deux les beaux édifices. La ville s’enlaidit pour donner la priorité à la voiture. Luc Besson avec " le Cinquième élément " a juste exagéré ce qu'est Bangkok aujourd'hui. Le pic de pollution évalué dans 14ème arrondissement de Paris est une douceur à coté des effluves ici ! Et puis lorsqu'il pleut, les inondations et le surplus d'autos bloquent la ville complètement. Je prends soin de mettre un livre de poche et un poncho de pluie dans mon sac. Dans les taxis-meter j'ai le temps de lire beaucoup !
Parce que je veux travailler ici, je provoque des rencontres. Et parce qu'ils sont nombreux et charmants, la communauté gay de Bangkok n'a plus de secrets pour moi. Et lorsqu'ils ne sont pas homos, les hommes sont sévèrement mariés. Je suis dans l'obligation de rester vierge et pure dans cette ville provocante où le sexe est partout, représenté jusque dans des immondes gargotes sous l'Express way, dans l'ombre, la fumée et la crasse des cafards. Certains ont des fantasmes étranges. Le gazouillis des oiseaux de la forêt de Rambouillet me manque, mais sans y être obligée je reste là.
J’ai juste besoin de dormir... La nuit je mets mes boules quiès et la clim dans ma chambre. Je me réveille 3 fois pour l'éteindre ou la rallumer parce que j'ai trop froid ou trop chaud. Au réveil j'ai les yeux gonflés comme les crapauds du jardin. Je résiste. Je m'habituerai !
J’apprends la patience. Il ne faut jamais s'énerver, jamais soupirer et surtout pas pleurer. Et je ne suis pas malheureuse. Je suis surprise, intéressée, comme un témoin ou un spectateur devant un film. En compagnie de la seule femme célibataire rencontrée, sympathique et fort jolie, je repose mes pieds devant la Maison des Esprits au coin du Hyatt Erawan. Les jeunes filles sont payés pour danser au rythme d'une languissante musique, ponctuée par les moteurs des motos. Là aussi une bande de béton nous cache le ciel de ses éventuelles étoiles. Ma lolo, offre toi un voyage organisé !! Le club Méditerranée ! Des vrais vacances. Que la France est belle, mais que les Thaïs sont gentils...

Hier j'ai acheté un billet pour l'Express de nuit. Je pars m'aérer á Vientiane, au Laos. Avec celle de la gare, une seule agence vend les billets de train. Comme je suis invitée á une fête ce soir, je pars confiante, pour modifier la date de mon départ. Et je marche et je marche dans le soleil et le vent... et la gargote-agence est fermée le samedi... Une moto me dépose á la gare : 50 bath ! Je trouve par miracle le guichet concerné et explique mon cas. "50 bath" me dit l'employé "pour changer la date ". Je repars avec un billet pour le train lent du lendemain soir. Puis je cherche une cabine téléphonique internationale á carte pour prévenir mes amis au Laos. Et je marche et je marche dans le soleil et le vent. J'en repère une. Je traverse une avenue au péril de ma vie, contourne un pilier qui retiendra un jour la bande de béton du métro, j'escalade un échafaudage fracassé sur le sol, je m'écorche la jambe et arrive en sang devant une cabine "out of order". Ne pas pleurer, rentrer á la maison, prendre une douche froide en sirotant un whisky... avant la fête. 20 heures.

Je monte dans un taxi et bredouille l'adresse du bar. Accrochées au rétroviseur pendent des roses en plastique et une bourse de lin. A chaque virage le driver retient de sa main gauche le bouquet qui se balance. Puis il rétrograde et retient encore par une tendre caresse les pétales synthétiques. Je retiens un fou rire.
Au bar aucune tête connue. Je suis dans le quartier de Patpong et je ne veux pas me mêler á la bande de buveurs de bière au sourire narquois. Au 1er étage une cubaine donne un cours de danse. Je m'assois timidement dans un coin et je mate. Accoudé au comptoir, un européèn d'une cinquantaine d'années explore les filles derrière ses lunettes. Les seuls Thaïs sont les deux employés. A 21 heures l'homme á la chemise rose est toujours vissé sur son tabouret et moi sur ma chaise. Les autres s'expriment en mouvements de pieds et ronds de hanches au rythme de la musique latine. Vers 21 heures 30, á mon grand soulagement, arrive ma copine et ses amis. L'homme tourne la tête sans bouger. Les farangs (étrangers) se présentent et se mettent á danser. La prof s'assoit sur le rebord de la fenêtre. Dehors c'est une nouvelle douche qui tombe du ciel et l'homme croise ses jambes une nouvelle fois. Il est la réplique de l'anglais dans "Un poisson nommé Wanda" et je l'imagine en slip kangourou blanc dansant dans son living... Comme s'il avait perçu ma pensée, il saute brusquement de son tabouret, traverse la pièce sans voir personne et se précipite sur la prof de danse pour l'inviter. Ils se font de la place en tournoyant. Petits pas en avant petit pas en arrière et one two tree et one two tree. Je glousse dans mon coin, il danse diablement bien... Puis il la lâche brutalement sans un merci et retourne á son tabouret. Il est 23 heures. L'ambiance est bonne. Les filles lèvent leur tee-shirt devant le ventilateur. Le poisson ouvre des yeux ronds et rebondit sur une expat, surprise de se retrouver dans ses bras et de répéter son cours : et one two tree...
Je quitte mes nouveaux amis pour une douche dans Patpong. En fait ce sont les stores, parasols et gouttières qui pleurent. Je marchande un porte-bagages á roulettes et je m'engouffre dans un taxi.

Le train s'ébranle. Je plaisante avec un Suisse queue de cheval boucle d'oreille fripe indienne et sa compagne écossaise au même look. L'employé du wagon prépare les lits. Je me mets en sous-vêtements, ajuste mes boules-quiès, imbibe d'eau un tissu éponge pour les odeurs éventuelles et je m'allonge avec mon "poche". Nous serons á 6 heures á Nong Kai, puis la frontière et le Laos enfin.A 5 heures, l'odeur des toilettes me sort de mes rêves. Le Suisse n'a pas fermé l'oeil. Ma voisine, une très belle vieille femme asiatique, me dit que le train est tombé en panne cette nuit. Nous arriverons á Nong Kai vers 10 heures. Je me console devant le magnifique lever du soleil.
Ils sont sur nous les drivers de tuk tuk, m'arrachant mes 30 kilos de bagages en proposant des prix exorbitants pour aller á la frontière. Ma voisine birmane m'explique qu'elle reste une journée á Vientiane pour son visa. Les formalités sont rapides : 50 $ pour un visa de 1 á 15 jours consécutifs au Laos. Nous partons dans un tuk tuk lao et passons le pont de l'amitié. Il est midi, c'est la sortie de l'école. 7 mois jour pour jour après mon 1er séjour au Laos, j'ai la même émotion de chaleur et de liberté. Quelles sont jolies ces jeunes filles en uniforme. Malgré la poussière et le sable, leur chemisier reste d'un blanc pur et leur jupe sans plis. Elles marchent en groupe au bord de la route, suivies de jeunes garçons sages. Elles sont en amazone derrière leur camarade et slaloment en mobylette. Rieuses, rayonnantes et amusées par nos dégaines de routards sales.
Vientiane, le 12 Octobre 98, l'accueil chez Pascal á l'Auberge du Temple est celui que j'espérais. Sa femme Ming précipite son large sourire dans mes bras. Rapide douche puis... un Ricard.